vendredi 29 juillet 2011

Mettre le prix




photo © fabian da costa



Et accepter de payer sans marchander le prix exorbitant de la beauté.

Quel est ce prix à payer, ce prix exorbitant, exigé pour atteindre cette mystérieuse beauté dont parle Nicolas Bouvier ?

Payer c'est, d'une manière ou d'une autre se défaire d'un bien pour en acquérir un qui semble plus désirable, plus nécessaire. C'est créer un vide pour acquérir du plein. C'est renoncer à tout avoir en même temps : le beurre et l'argent du beurre, ce que je veux garder et ce que je désire avoir.

Payer, personne n'aime vraiment cela : je l'ai payé cher – j'ai payé de ma personne – c'était trop cher payé – et puis tout un chacun le sait, ce qui n'a pas de prix en a un, fort élevé en général.

Alors avec quoi payer sans rechigner ni marchander, cette beauté qui nous est présentée comme hors de prix ? Déjà il m'a semblé qu'il était possible, sans trahir la pensée de l'auteur, d'ajouter d'autres " produits " tout aussi chers dans notre panier,  comme la vérité, l'équanimité, et allez soyons fou, la pureté.

A quoi suis-je capable de renoncer dans ma vie, dans mes croyances, dans mes désirs, pour acquérir tout simplement ce qui ne dépend ni des circonstances, ni de mes humeurs, ni même de mes envies, ce qui est l'absolue splendeur du monde….

De quoi vais-je accepter de me dépouiller pour avoir ne serait-ce qu'une fois, la grâce de contempler la beauté, celle  qui se tient au-delà de tout – la beauté au-delà du beau.
 

mercredi 27 juillet 2011

Confidences et secrets



photo © fabian da costa


Ces chuchotements de femme à l'oreille de Nandi, le taureau monture et compagnon du dieu Shiva, m'ont toujours intrigué. Quelques hommes parfois, mais surtout ces femmes en saris chatoyants qui se penchent en faisant tinter leurs bracelets, mettent leur main en conque près de l'oreille de celui qui veille avec amour et patience en vis-à-vis de son maître bien-aimé, Shiva.

Nandi n'est pas n'importe lequel des taureaux à bosse si nombreux qui peuplent les campagnes et même les villes indiennes. Placides en général, j'en ai croisé plus d'un, avançant d'un pas paisible au milieu d'un embouteillage indien qui rendrait fou n'importe quel quadrupède occidental, ils sont tous sous la protection de Nandi, qui dans sa grande bonté protège aussi tous ceux qui marchent à quatre pattes, et dieu sait qu'ils sont nombreux.

Nandi est le fils d'un sage des jours anciens, Kashyapâ, et de Surabhî, la vache céleste, née au moment du barattage de la mer de lait par les dieux et les démons, à l'origine du Monde.

Un pareil lignage ne pouvait qu'en faire un dieu lui-même, dévoué à un plus grand dieu encore, Shiva. Il en est la monture, le fidèle disciple et aussi le messager infatigable. C'est à cette qualité que s'adresse celles et ceux qui viennent lui confier leurs demandes et leurs espérances, certains qu'il les portera avec diligence auprès de son maître dont la statue se trouve toujours en face de lui.

Chez-nous les messagers divins sont des anges aux ailes plus rapides que l'éclair. Je ne doute pas que Nandi, le blanc taureau, ne soit aussi efficace. D'ailleurs je lui ai moi-même confié une demande au creux de son oreille de pierre, mais je ne dirai pas laquelle…une confidence est une confidence, un secret qui se dit n'est plus un secret.





vendredi 8 juillet 2011

La Voix des Tambours

 photo ©  fabian da costa


        Un soirée à Cochin, venue comme toujours à pas doux et soyeux, une soirée de fête indienne dans les jardins qui bordent le port. La foule évidemment, et sur l'estrade des tambours. J'ai toujours aimé les tambours, d'un amour mêlé de crainte, car je savais qu'ils frappaient à cet endroit de moi où je n'osais aller.
 
Et voilà que ce soir-là, dans la chaleur, le bruit et les moustiques, la voix du père s'est élevée.
Pour la première fois, j'ai eu la sensation de pouvoir poser ma main doucement sur la peau du monde et  d'entendre battre un cœur, résonance de tous les cœurs.
Comme si j'avais pu la glisser sous les couches de millénaires accumulées, à travers l'épaisseur du vêtement humain, et toucher enfin ce que j'aurais toujours cherché sans le savoir.

J'ai tellement de chance, moi qui n'ai pas d'identité et pas d'ancêtres, moi qui n'ai  pas d'histoire ni d'arbre généalogique. J'ai tellement de chance de ne pas pouvoir aller dans des cimetières me recueillir sur les tombes de ma famille, tellement de chance de ne pas avoir de vieilles photos à regarder, pas de noms et de prénoms à me souvenir. Je n'ai aucune ressemblance à rechercher, je ne sais pas de qui sont mes yeux ou ma bouche. Oui la chance infinie, la grâce même, de n'appartenir à rien ni à personne et d'être libre de choisir, d'accueillir.

Je crois qu'aujourd'hui enfin je vais pouvoir vous reconnaître, vous qui ne m'avez pas reconnu. Que je vais m'incliner devant vous, mon père, m'incliner devant ce qui en moi vous appartient, ce dont je vous suis redevable. Je ne sais même pas si vous avez atteint l'âge que j'ai à ce jour où je peux me présenter devant votre image, sans colère ni peur, pour vous dire - mon père, je vous salue - allez paisible, là où votre destin vous a permis d'aller. La force, l'élan, que vous ne m'avez pas donnés, je les ai reçus ce soir-là, en Inde, par la voix puissante des tambours.


 

Eurydice...

                                   photo fabian da costa   Eurydice, Eurydice, je pense à toi ce soir. Il fait froid, il fait noir, et je t’...