vendredi 8 juillet 2016

Pour Edouard Boubat


Edouard Boubat - Le paravent - 1976



    Lumière de ce jeune amour que je n'ai pas su voir. Tu m'avais dit : - je m'appelle Maria-Luz et je suis espagnole. C'est ainsi que j'ai appris à la terrasse d'un café que toutes les espagnoles ne sont pas brunes, mais que presque toutes se nomment Maria.

    L'amour était facile en ce temps-là. J'ai vu que je te plaisais et cela ne m'a pas surpris. Sans orgueil, je savais que les filles tombaient facilement dans mes bras. Elles me quittaient tout aussi facilement d'ailleurs. Chacune d'elle était une bulle légère qui venait jusqu'à moi. je la frôlais du bout des doigts, et quand elle disparaissait je n'en avais aucune peine, sachant qu'une autre la remplacerait.

    Tu es venue ainsi et je ne m'en étonnais pas. Je trouvais normal de t'avoir près de moi quand je le voulais, dans mon lit quand je te désirais. Je te croyais silencieuse par manque d'idées, rieuse par gaité naturelle, respectueuse de ma liberté par absence de jalousie. Je pensais surtout que je t'éblouissais. Paris avec toi dansait sous nos pieds et nous dansions beaucoup.

    L'amitié aussi m'était facile. Les routes se croisaient et s'éloignaient sans heurts. Comme en amour, j'accueillais l'ami qui se présentait, comme en amour je ne faisais rien pour le retenir. Celui-là qui venait vers nous en évitant souplement les danseurs, avait quitté mon chemin depuis des mois. Je le retrouvais inchangé - nonchalant et toujours aux aguets comme un grand chat dont il avait le pas et les moustaches.  Vivement, il a regardé ta bouche, tes yeux et ton corps, en homme qui sait voir les femmes. Je me suis dit qu'il allait de demander de poser pour lui. Il l'a fait. Tu as accepté. Je n'y ai plus pensé. Je n'étais pas jaloux.

    Plusieurs semaines après, lorsque tu m'as dit - Je suis allée posée chez ton ami photographe, j'ai plaisanté - Il t'a photographiée nue bien sûr. Tu as répondu - Non, seulement mes cheveux. Et tu as ajouté un peu plus bas. - C'est drôle que vous soyez amis, vous ne vous ressemblez pas.

    je ne saurais même pas raconter comment tu m'as quitté. Un rendez-vous manqué, un téléphone qu'on ne rappelle pas, une habitude qui s'éloigne. Il y en eu bien d'autres après toi, et ma vie comme je la voulais - à la surface du monde, à la frange des êtres. Jusqu'à ce jour devant la table d'un bouquiniste où je feuilletais un livre de photo.

    Moi, pauvre aveugle, je t'ai vu entre les pages, pour la première fois. J'en ai pris, ma Lumière, plein le coeur, plein ma vie que je croyais vide de tout autre que moi. Je suis allé m'asseoir sur un banc et j'ai fermé les yeux. Alors tout est venu comme une grande vague qui m'a emplie de toi.

    Car je savais tout - l'escalier étroit que tu as grimpé jusque chez-lui - la lumière qui se promène à travers la baie de son atelier - ses mains qui bougent tout le temps, et son sourire comme un filet jeté sur les enfants, les femmes, les oiseaux ou les anges, ce qui est la même chose. 

    Tu as déversé ta chevelure sur les fleurs de son paravent chinois - pourquoi donnée à lui et pas à moi, cette plénitude de toi. Tes cheveux dans le soleil ont l'odeur de la vanille - je ne m'en souvenais plus. Comment ais-je pu supporter ton absence à mes côtés ? Pourquoi n'ais-je pas senti, inexorable, l'ombre qui m'envahissait ?

    Je prenais l'allégresse qui me soulevait à chaque nouvelle rencontre pour un nouvel amour, et toute découverte m'était une passion. Mais alors, que vient-il de surgir ici qui me brise et me navre ? Il ne s'agit plus de l'amour léger, frais comme un verre d'eau pour la soif de l'été. C'est un amour pavot, rouge sang, rouge nuit. C'est un amour poison où je veux m'endormir. Dormir dans tes cheveux Luz.

    On ne meurt pas d'amour - enfin, pas toujours - et je n'en mourrai pas, c'est certain. Je n'ai pas acheté le livre - ni celui-là, ni un autre. J'attends de te retrouver ainsi révélée, au secret d'une page. J'ai choisi de souffrir par surprise. Je veux que la douleur me transperce sans que je puisse m'en défendre. Je désire être foudroyé par ton image, consumé, dévasté. 
Pour avoir oublié de t'aimer.

Anne da Costa

   

 

    


Eurydice...

                                   photo fabian da costa   Eurydice, Eurydice, je pense à toi ce soir. Il fait froid, il fait noir, et je t’...