dimanche 20 septembre 2015

La légende du Roi pétrifié

Sainte-Sophie - Istanbul - Constantinople
photo fabian da costa


" Le 29 mai 1453, l’armée du sultan Mehmed II n’aura pas grande peine à submerger dans le sang Byzance affaiblie, abandonnée par un Occident qui se réjouit secrètement ou ouvertement, de voir enfin jetée bas le reste fumant d’un empire qui se voulait le successeur de Rome, la terre du Christ.
Au soir de sa victoire, le vainqueur avait regardé du haut de la coupole de Sainte-Sophie, la fumée des incendies qui montaient de la ville. Dans ce qui restait du grand palais sacré des empereurs, il avait murmuré, méditant sur l’inconstance des armes et les vanités du monde, les deux vers d’un poète persan :
 ‘’L’araignée a filé sa toile dans le palais impérial. La chouette a entonné son chant nocturne sur les tours d’Afrasiab.’’

On retrouvera le corps ensanglanté du dernier empereur au milieu d’un amoncellement de  cadavres. Seules, ses bottines cramoisies brodées d'aigles impériales permettront de le reconnaître. Pour des noces ultimes, le sang d’un basileus se mêle à la pourpre. Jamais plus aucun homme ne montera sur le trône de Byzance, chaussé de rouge, couronné d’or, de perles et de diamants. Personne ne se dira plus avec autant d’orgueil que de foi, représentant de Dieu sur la terre, serviteur du Christ, seul vrai maître de l’Empire et du cosmos.
Byzance s’effondre, Byzance est morte. Les femmes descendantes des anciens empereurs accoucheront en exil de leurs premiers-nés, tenant dans leur main un fragment de porphyre, dérisoire et splendide souvenir d’un pouvoir disparu.

           Les mythes sont parfois plus forts que l’histoire. Ils ont pour eux l’inaliénable liberté qui donne aux rêves puissance sur la vérité. En Grèce de nos jours encore, les enfants chantent la légende du roi pétrifié.
L’histoire commence lorsque le dernier empereur byzantin apprend que les Turcs viennent de pénétrer dans la ville, par la porte du Pommier-Rouge. Il selle son cheval, et court se jeter dans la bataille. A l'instant où il va succomber sous les coups des ennemis qui s’acharnent sur lui par dizaines, un ange survient et l’emporte avec son cheval dans une grotte secrète.
Là, changé en statue de marbre il attend, l’épée levée au-dessus de sa tête, le jour de la grande délivrance. Alors il se précipitera à nouveau dans les rues de Constantinople et libèrera sa terre et son peuple. Alors, à nouveau reviendront les bannières et les oriflammes sur les murs de la ville, les processions triomphales sous les portes d’or, et les chants des liturgies solennelles retentiront dans Sainte-Sophie, plus belle que jamais. "

"Anne Comnène, princesse de Byzance ". Work in progress – Anne da Costa
           
Qu’elles reposent en paix au-delà des chimères humaines, les cendres de ceux et de celles qui firent l’histoire splendide et sanglante de Byzance. Et que peuvent bien nous dire ces légendes qui paraissent ne pouvoir toucher que les cœurs simples, les âmes innocentes de l'enfance ?

J'aime à croire qu'elles nous parlent de l'espoir indéfectible au milieu des pires catastrophes. De la certitude qu'un jour, même lointain, viendra la lumière au milieu des ténèbres. Peut-être pourrions-nous nous chanter à nous-mêmes la naïve chanson des petits grecs, pour nous faire espérer, attendre ce jour-là. Peut-être aussi sommes-nous chacun, ce roi, cet empereur, muré dans au plus sombre d'une grotte, et que c'est à nous qu'il appartient de le délivrer.

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