photo © fabian da costa
On connaît sa réputation, mais tant que l'on ne l'a pas soi-même vécue, il est difficile de s'en faire une juste idée. Il y eut une année où des impératifs professionnels nous ont conduit au Kérala alors qu'elle n'était pas encore terminée.
Déjà à l'approche des côtes kéralaises, les turbulences et les vibrations de notre avion nous avaient appris que ce séjour nous réservait quelques surprises. Nos amis et collègues indiens se sont étonnés de nous voir arriver à cette période et qui plus est en pleine épidémie de chikungunya, mais nous n'avions pas le choix.
Le pire était passé, semblait-il, tant pour la mousson que pour le chinkungunya. L'une laissait dans les rues des ruisseaux boueux sans cesse renouvelés, l'autre avait envoyé nombre de nos amis et de leurs familles à l'hôpital.
Nous avons donc appris à regarder le ciel pour voir arriver les nuages porteurs de trombes d'eau tiède, dont rien, pas le moindre imperméable, pas le plus grand parapluie ne peut protéger. Nous avons couru, pantalons retroussés nous réfugier dans la première boutique ouverte, compris pourquoi les bus et les rickshaws s'ornaient de bâches de couleurs et d'âges variables, pataugé dans une bouillasse couleur…enfin, vous voyez ce que je veux dire…
C'est donc un de ces jours-là, dans la grande artère d'Ernakulam, tapie dans un rickshaw aux portières largement déchirées, que je vis passer voguant au fil de l'eau qui dévalait la rue, trois corbeaux, majestueusement installés sur un gros sac poubelle que le courant emportait avec lui. Ils nous doublèrent fièrement sur la droite, nous sommes en Inde, sans klaxonner, ce qui n'est pas normal dans ce pays.
J'avoue que lorsque les nouvelles du monde me donne le blues, je m'offre un fou-rire, en repensant à mes corbacs si dignes sur leur sac poubelle, filant à toute allure sur une eau particulièrement sale, vers un avenir incertain…je me permets même d'y voir comme une vague similitude avec pas mal d'humains aujourd'hui, et je ne m'exclue pas du nombre.