mercredi 26 novembre 2014

Destinée




J'ai été semé par fidélité pour Celui au visage de lune
Que je le veuille ou non, je suis obligé de croître
Il est l'Eau de la vie éternelle, et je suis le ruisseau
Et quand l'Eau me cherche, je cherche en cet instant.

Djalâl-ud-dîn Rûmi

mardi 25 novembre 2014

Origine

photo fabian da costa



 
Je viens de cette âme qui est l'origine de toutes les âmes
Je suis de cette ville qui est la ville de ceux qui sont sans ville
Le chemin de cette ville n'a pas de fin
Va, et perds tout ce que tu as, c'est cela qui est le tout.
 
Djalâl-Un-Dîn Rûmî

dimanche 16 novembre 2014

Ce qui ne saurait être une fin

Kérala, backwaters, photo fabian da costa


   On peut quitter l'Inde et s'y trouver encore, revenir chez-soi heureux de revoir sa famille, ses amis, soulagé de ne plus devoir se laver les dents à l'eau minérale, de ne plus craindre les moustiques, la nourriture trop épicée, ravi de pouvoir à nouveau se jeter sur la salade, les crudités, les fruits, parfois plus redoutables qu'une douanière à l'aéroport de Delhi.

   On peut aimer son pays, sa ville, son village, être d'ici et pas d'ailleurs et quand même...quand même savoir que là-bas sont restés, oubliés comme une écharpe sur un banc, des petits morceaux de son âme, des petits bouts de son coeur. Pour ma part, j'en ai oublié beaucoup, un peu partout. 
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   J'en ai tant oublié que je ne me souviens plus vraiment ni des lieux ni des dates : je les retrouverai quand je repartirai. Mais je sais qu'en attendant il faut vivre ici avec le coeur et l'âme aussi ouverts que là-bas, garder vivantes la joie, la tendresse, la flamme qui nous semblait brûler de sa propre énergie et qu'il faut maintenant continuer d'alimenter. Quel beau travail en perspective !

   Qu'ils soient remerciés, tous ceux qui ont croisé notre route, qui nous ont donné leur visage, leur sourire, ceux qui nous ont bénis, qui ont partagé généreusement leur vie, leur savoir avec nous.
   Qu'elles soient remerciées, les vaches que l'Inde vénèrent tant, elles qui m'ont guérie de la peur panique que m'inspiraient leurs congénères, chez-moi, avec leurs grands yeux si doux, ourlés de noir, leurs colliers de perles et leur insistance à fourrer leurs mufles dans les sacs pour voir s'il n'y a vraiment rien à manger.
   Qu'ils soient remerciés les moustiques harceleurs, les rendez-vous aléatoires, les départs reportés, les arrivées retardées, car ils nous ont appris la patience. 

   Que soit aussi remerciée Bharat-Mata, Mother India, aussi douce, ardente, parfumée que puisse être une mère et, en même temps, si terriblement exigeante envers ses enfants, ne leur épargnant ni peine ni chagrin jusqu'au bout du chemin.
   Que soient remerciés les sages de tous les temps, qui ont sur cette terre reçu et redonné les clés d'une éternelle et universelle sagesse.

De l'irréel, mène-moi au réel,
De l'obscurité, mène-moi à la lumière,
De la mort, mène-moi à l'immortalité.
                                                    Brihadâranyaka Upanishad

" Vers l'Autre Rive " Un voyage au coeur de la spiritualité en Inde. Anne et Fabian da Costa. Editions Dervy

  

mercredi 12 novembre 2014

Le Gange sacré

le Gange à Bénarès - photo fabian da costa

le Gange tombe du ciel sur la tête de Shiva,
de la tête de Shiva sur l'Himalaya, 
de l'Himalaya dans la vaste plaine,
de la vaste plaine dans la mer plus vaste.
Ainsi, le Gange, de chute en chute, tombe dans l'immensité.

Bhartrihari, " La Centurie du renoncement " Paris, Ed. de la Différence.

   
   C'est ainsi que la ville la plus sacrée de l'Inde choisit Shiva comme maître et gourou suprême, celui qui crée, qui maintient et détruit le monde dans une incessante danse cosmique.
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   Les centaines de pèlerins qui pénètrent chaque jour dans l'eau sainte viennent eux aussi " méditer dans le lotus du coeur ", en invoquant Shiva. Ils se plongent trois fois dans le Gange en récitant les mantras appropriés, hommes, femmes parfois craintives accrochées au bras de leur époux, petits enfants effrayés que leur mère rassure.
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   Un pèlerinage à Bénarès équivaut à faire tous les pèlerinages, et, irrésistiblement, les foules de croyants ou de touristes se retrouvent toujours au bord du fleuve, sur les ghats.
   Toute la vie est là au bord du Gange, et tout ici paraît sacré. La puissance numineuse qui s'élève depuis le fleuve changeant au fil des heures, gris d'argent au matin et or rouge au coucher du soleil, les trompes, les clochettes, les mantras qui résonnent depuis les ghats jusqu'au pied de la ville, le bruissement de cette foule incessante confirment dans l'âme de chacun qu'il est en lui-même l'atman, la présence absolue de l'absolu.
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   Sans doute Bénarès donne-t-elle à chacun ce qu'il veut recevoir. On peut y passer deux jours, cela suffit pour voir le ghat principal et celui des crémations, assister à l'arati du soir, acheter des soieries, lancer des cacahuètes aux singes du temple de Durga et repartir en s'étant bien gardé des microbes et de la pollution. J'ai le souvenir d'un groupe de touristes nippons, le visage et les pieds protégés par des masques et des chaussons d'un bleu délicieux, tout droit sortis d'une salle d'opération, courant sur les ghats derrière leur guide.

   On peut choisir d'y vivre et, bien entendu , d'y mourir. On peut également y arriver avec une certaine frayeur et quitter la ville avec cette mélancolie, cette douce tristesse, ce regret de ne plus voir le Gange s'éveiller au soleil du matin, les barques glisser sur les eaux, et sur les berges, couler cet autre flot, celui des humains qui viennent ici comme leurs ancêtres et comme le feront leurs descendants, rendre hommage à Mère Ganga et au maître de l'univers, le grand passeur des âmes, Shiva.

" Vers l'Autre Rive " Un voyage au coeur de la spiritualité en Inde. Anne et Fabian da Costa. 
Ed. Dervy



vendredi 7 novembre 2014

" Welcome in India, God bless you "

photo fabian da costa
 
 
   " Sept heures du matin, aéroport de Delhi. Mal réveillés après dix heures de vol, nous suivons le chauffeur venu nous chercher à l'arrivée. Il marche à toute vitesse en poussant nos bagages devant lui et nous courons presque pour ne pas le perdre dans la foule. Six heures de voiture nous attendent maintenant pour notre prochaine étape, et le trot nous paraît trop vif pour nos jambes engourdies.
   Nous partageons l'ascenseur qui mène au parking avec un Sikh très distingué, majestueux turban et barbe blanche. Avant de sortir , il se tourne vers nous, " Welcome in India, God bless you. " 
 
   Voilà, nous sommes à nouveau en Inde, God bless us.
 
   Je me souviens de ma première arrivée en Inde au Kérala, de la chaleur moite sous un ciel gris, des buffles près du tarmac, de la peur de mourir tout de suite dans le taxi que le chauffeur conduisait comme un fou, de la procession de yogis qui dansaient frénétiquement au milieu de la route, les joues traversées par de longues tiges de fer, des tambours hallucinatoires qui les accompagnaient. 
   
   Je me souviens de ces premières heures où j'ai vu dans la nuit si vite tombée, un éléphant chamarré comme un prince, bénir une maison et ses habitants, où j'ai compris que traverser une rue au milieu de la circulation, pouvait être un exploit aussi dangereux que de marcher sur un fil au-dessus des chutes du Niagara.
   
   Cette même nuit, j'ai appris sous la haute vigilance d'amis indiens, à manger du poisson, du riz et des chapatis, uniquement de la main droite, la gauche étant réservée à des usages intimes plus triviaux. Je me suis endormie comme une pierre aurait coulé au fond d'un puits, non s'en m'être demandé comment j'allais pouvoir rester une journée de plus dans ce pays.
      
    Le lendemain matin, j'ai découvert depuis le balcon de ma chambre, un soleil voilé posé sur le bras de la rivière, la ville au loin encore sous la brume, le balancement des manguiers  et des cocotiers sous mes pieds, et sur la gauche une fontaine et des femmes réunies autour de leurs cruches et de leurs jarres.
   
   Je les ai vu rire, soulever leurs pots et les poser sur leurs têtes, j'ai entendu le tintement de leurs bracelets. Il y avait des jeunes filles avec des fleurs de jasmin dans les cheveux, des vieilles femmes qui ne laissaient à personne le soin de porter leur charge. Les enfants en uniformes partaient pour l'école, le cartable dans le dos, un chien jaune disputait un sac poubelle à un énorme corbeau.
   
   Il était six heures du matin, les cloches du temple de Shiva répondaient au muezzin, relayé par les chants de l'église catholique qui faisait autant de bruit que les deux autres réunis. Une nouvelle journée s'ouvrait, et j'ai su sans discussion possible, que j'étais arrivée chez-moi."

   " Vers l'Autre Rive " 
un voyage au coeur de la spiritualité en Inde. 
 Anne et Fabian da Costa
Ed. Dervy
 
    

jeudi 6 novembre 2014

Une naissance...


Nous l'avons porté, préparé, conçu, avec beaucoup d'amour et de bonheur. Notre éditeur en a fait un bel objet de partage et de découverte de ce pays que nous aimons tant.

Nous proposons un voyage où il s'agit à la fois de cheminer sur les routes de l'Inde, et dans ce lieu du coeur le plus intime à chacun.

Nous n'y serons pas seuls, car un milliard deux cents millions d'êtres humain, 330 millions de divinités qui ne sont que les multiples facettes d'un seul Dieu, origine de toutes choses, nous accompagnent.


 Ce chemin de découverte passe aussi près des grands textes sacrés qui nourrissent l'âme indienne depuis des millénaires, il conduit à travers une nature où presque chaque arbre, plante, fleur, est investi par les énergies divines, où l'eau s'offre et se donne comme une bénédiction des dieux.



La route s'est faite à la rencontre des grands sages d'hier et d'aujourd'hui, des maîtres d'une sagesse millénaire mais toujours actuelle. Des plus humbles ashrams aux lieux saints les plus vénérés, des grandes fêtes religieuses aux simples rencontres de la vie quotidienne, il s'agit toujours d'un itinéraire spirituel, tracé par l'image et l'écriture, dans l'émotion d'un vécu intérieur.



Sur cette terre parcourue depuis des milliers d'années par les milliards de pieds de milliards de pèlerins, nous avons cheminé avec amour. Remercier l'Inde de ce qu'elle nous a donné, partager ce que nous y avons reçu, tel est le propos de ce livre. Non pas d'être un catalogue exhaustif de tout ce qu'on peut voir, savoir, connaître de ce pays – une vie serait-elle suffisante ? Non plus qu'un traité de théologie, de savants ouvrages existent dans ce domaine.
Ici, il est question de rencontres, d'émotions, de découvrir à quel point toute la vie là-bas, jusque dans ces aspects les plus simples, est imprégnée, inondée de spiritualité. De dire combien sur cette terre on peut se sentir à la fois si vivant et si proche d'une mort qui n'est autre que le passage vers un ailleurs qu'il revient à chacun de nommer.


Un film de 90 minutes, promenade méditative, pèlerinage spirituel au cœur de l'Inde, accompagne notre livre qui sera disponible autour du 10 novembre.



lundi 20 octobre 2014

Le vieux tigre dans la neige


Oui, nous sommes revenus de Chine...j'en parlerai un jour...mais pas aujourd'hui...aujourd'hui je parle d'un poète, d'un peintre, d'un tigre.

Pourquoi ? Parce que je viens de lire " Un assassin blanc comme neige " de Christian Bobin. Bobin, il me faut à chaque fois et tout d'abord, le lire vite, très vite, car chacun de ses mots me brûlent et me consument. C'est un feu d'amour, de joie, de tragédie, de splendeur, que je dois franchir d'un bond, comme les jeunes gens de mon village sautaient par-dessus les feux de la Saint-Jean à la nuit venue, si je ne veux pas retomber en cendres.

Après, mais seulement après, je peux revenir sur la pointe des pieds et me promener calmement à travers les lignes et les images.

L'image de ce jour c'est un tigre, mais pas n'importe lequel, c'est le tigre du vieux peintre japonais Hokusai. 




Pour les lignes, voici celles de Bobin : " Hokusai pense à la fin de sa vie que la vie n'est que commencements.  A quatre-vingt-dix ans je pénètrerai le mystère des choses ; à cent ans, je serai décidément parvenu à un degré de merveille, et quand j'aurai cent-dix ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. A l'heure où j'écris, continuant à peindre après que la mort a lavé ses pinceaux, Hokusai à deux cent cinquante ans. Le vieux tigre est de plus en plus souple, son bond a la forme de l'arc-en-ciel.

Dans le couloir de la maison de retraite, je passe devant une chambre dont la porte est ouverte. Il y flotte une atmosphère de guerre perdue. Comme un ange sonné par les coups et poussé dans les cordes, un hommes las se dirige vers la fenêtre. Il tourne le dos à la télévision dont il a coupé le son et laissé les images. Un tigre blanc traverse lentement l'écran. Cette vision m'aveugle et cet aveuglement me rend voyant : aucune guerre n'est définitivement perdue. Une nuit, le tigre blanc reviendra dans la chambre du vieillard qui sera sauvé par cette apparition. 

Les tombes s'ouvrent les unes après les autres comme des fleurs.

L'âme est un jeune tigre qui bondit par-dessus la mort. " 

       Christian Bobin " Un assassin blanc comme neige " Ed. Gallimard.

Lorsqu'il peignit ce tigre, Hokusai avait quatre-vingt-dix-neuf-ans, Bobin, et qu'il nous soit longtemps gardé ainsi, a l'âge de l'enfance et des sages.

Je laisse et la beauté légère du tigre et celle des mots de Bobin traverser nos écrans et nos coeurs.

lundi 1 septembre 2014

Nous partons...


Non pas là-bas


 





 

 Mais ici


Il faut bien changer un peu. Promis au retour des photos et des histoires. Bonne rentrée, à bientôt.



vendredi 6 juin 2014

L'Ecole






" Elle n'est pas allée à l'école "…je ne suis pas allée à l'école, enfin presque pas. Juste le temps de me rendre compte que je n'étais pas armée pour la lutte humaine qui commence au jardin d'enfants, et se termine, mais alors là pour tout le monde, dans la dernière boite où nous serons rangés, calmes et sages.


Je ne suis pas allée à l'école, c'est vrai – j'étais malade, dans mon corps et encore plus dans mon âme. Ce matin j'écoutais Catherine Millet parler de son dernier livre, " Une enfance de rêve " . Et pour d'autres raisons que les siennes, j'aurais pu parler de mon enfance comme elle, quand la pudeur veut que l'on remplace un mot trop douloureux par un autre, son contraire, son opposé.



Je ne suis pas allée à l'école et j'ai regardé, plus triste qu'il n'est souhaitable à un enfant de l'être, ceux qui passaient en bandes bruyantes, le cartable à la main, sur le dos. Moi je travaillais par correspondance, quand je le pouvais, quand ce n'était pas trop compliqué.



Je ne suis pas allée à l'école et ce fut une immense chance. J'ai rêvé autant que je le désirais, j'ai lu tout ce qui me tombait sous la main et de préférence ce que normalement je n'aurais pas dû lire. Calée dans un vieux fauteuil devant la bibliothèque, j'ai trouvé, certainement achetés au mètre et pour leurs superbes reliures rouges : tout Lamartine, tout Châteaubriand, tout Edmond Rostand – et oui, même lui – les œuvres complètes de Racine et de Corneille, le cher Victor Hugo.



Je ne suis pas allée à l'école, je n'y pas appris les codes et les us et coutumes, je n'y ai pas non plus découvert les modes d'emplois de la vie en communauté, les bienfaits ou les méfaits de la collectivité, la joie ou l'horreur de faire partie d'un troupeau quelconque. Je suis plutôt solitaire, les groupements humains me font assez peur, il m'arrive de faire des fautes d'orthographe et les maths me sont toujours " terra incognita ". 

Il faut me pardonner, je ne suis pas allée à l'école.

mardi 3 juin 2014

de l'usage de la solitude

Bodhgaya-Inde-photo fabian da costa 



" Et nous sommes comme des fruits. Nous pendons haut à des branches étrangement porteuses et nous endurons bien des vents. Ce qui est à nous, c'est notre maturité, notre douceur et notre beauté. Mais la force pour ça coule dans un seul tronc depuis une racine qui s'est propagée jusqu'à couvrir des mondes en nous tous.

Et si nous voulons témoigner en faveur de cette force, nous devons l'utiliser chacun dans le sens de sa plus grande solitude. Plus il y a de solitaires, plus solennelle, émouvante et puissante est leur communauté. "

          Rainer Maria Rilke " Notes sur la mélodie des choses. "

Rilke a 23 ans lorsqu'il écrit de texte court et magnifique. D'une grande beauté il annonce déjà toute la splendeur de la poésie à venir.

mercredi 28 mai 2014

Epices et parfums d'orient


                        Constantinople, l'an 1096, sur les quais de Péra     

 


     Pour l'heure, Marco le Génois et Ludo le Pisan, buvaient ensemble le vin grec que le cabaretier venait de renouveler dans leurs gobelets.
 –  Laisse là le pichet, dit Ludo, nous avons très soif. Que rapportes-tu dans ton vieux bateau pourri ? demanda-t'il  à Marco.
– Du blé.
 - Simplement du blé, rien d'autre vraiment ? Toute une galiote de vingt gaillards pour du blé ?  Marco se resservit largement avant de répondre.
-  Des esclaves aussi. Comme nous n'avions plus de place dans la cale, nous les avons mis aux bancs de rame jusqu'ici. Après leur vente, nous embaucherons de nouveaux rameurs pour repartir.
            Ludo essaya de sourire, ce qui équivalait pour lui à découvrir des dents largement pourries. Son visage était barré d'une horrible et profonde entaille qui commençait sur la lèvre inférieure pour se terminer loin dans le cuir chevelu.
Les routes maritimes étaient aussi encombrées que peu sûres, dans ces parages. La différence entre marins et pirates, marchands et pillards, était bien faible. Il n'avait jamais su quelle main tenait la hache qui lui avait fendu la figure, le jour où son bateau avait été attaqué au large des côtes d'Amalfi.
        Heureusement pour lui, Ludo avait de l'or dans sa ceinture, de l'or qui permettait de payer le médecin arabe qui l'avait recousu et sauvé. Rares étaient les chirurgiens qui employaient un analgésique durant leurs interventions - quelques juifs parfois - mais les Grecs s'y risquaient peu, craignant de voir leurs patients endormis pour toujours. Ils tentaient plus souvent d'atténuer leurs souffrances, en utilisant le pouvoir du lotus bleu qui ouvrait le matin pour les refermer le soir, des fleurs céruléennes et sédatives.
Ludo avait été emporté d'une main experte par quelques larmes rougeâtres, extraites des graines de pavot. Ce suc affreusement amer lui avait été administré mélangé à du miel. Une bienheureuse torpeur l'avait envahi ; un bourdonnement d'abeilles géantes, une chute molle et douce dans un profond abîme dont il était revenu défiguré à jamais certes, mais suffisamment réparé pour reprendre une vie normale. Une vie moins risquée que celle d'avant, une vie de marchand assez riche pour avoir sur les quais de Péra son entrepôt approvisionné par des bateaux qui lui appartenaient, mais sur lesquels il ne naviguait plus. 
D'autres marins plus jeunes et surtout moins nantis, rapportaient pour lui dans les cales de leurs navires, la cannelle, le gingembre, le poivre et le safran. Epices recherchées et fines venues des Indes, qui voisinaient dans ses réserves avec le santal, la myrrhe, le benjoin. Toutes ces essences rares arrivaient ici dans des sacs poisseux de larmes lourdes et grasses qui suintaient à travers les grosses toiles de jute, ou bien  enfermées dans des vases de terre cuite. Lorsque Ludo ôtait la cire et le liège qui en gardaient le contenu, les parfums longtemps retenus s'élevaient dans l'air, si violents, qu'on aurait pu les croire vivants et marchant dans les allées, venant à la rencontre de ceux qui se penchaient au-dessus de leurs puissantes effluves. 

 Anne da Costa " Anne Comnène Princesse de Byzance " ( en écriture )

samedi 24 mai 2014

Du bon usage du ménage



photo fabian da costa


   Non, je ne suis pas du genre maniaco-compulsive : " Je vais faire mon carrelage et mes vitres, juste avant de mettre en route, ma tête de veau et mes pieds paquets.

   Mais je dois reconnaître que peu de choses me semblent aussi rapidement satisfaisantes que le ménage. C'est sale, on lave, c'est propre - il y a de la poussière, on essuie, ça brille - les poubelles débordent,  on les vide, c'est terminé.

   La récompense est là tout de suite, accompagnée d'un délicieux sentiment de devoir accompli. Parce que sinon, autrement, d'autres fois, dans d'autres domaines : on fait un mail et on ne voit pas venir la réponse, on laisse un message sur répondeur et personne ne rappelle, on ouvre l'écran blanc de l'ordinateur et l'inspiration n'est pas là, on attend un contrat et la boite aux lettres reste désespérément vide, ( sauf la pub et les factures )

   Donc peu de choses donnent autant de plaisir immédiat que de faire le ménage : sauf peut-être une plaque de chocolat noir aux oranges confites...

   Mais bon, il faut considérer objectivement que ce n'est jamais fait une fois pour toutes et que ce plaisir revient avec une régularité qui peut devenir lassante. Vous me direz qu'il en est ainsi de toutes les choses de la vie : ce n'est pas faux.

   Malgré tout j'espère que ces quelques lignes ne tomberont pas sous les yeux de la gent masculine qui vit sous mon toit, et j'inclus mon chat...
   
   Femmes, mes soeurs, vous me comprenez à demi-mot, il n'est pas utile de leur donner des bâtons pour me faire battre.




vendredi 23 mai 2014

L'Inde en Isère




 Du début du mois de Juin à la fin de Septembre, venez nous retrouver sur le chemin des épices et  des arbres de l'Inde. Au Couvent des Carmes
 de Beauvoir-en-Royans en Isère. 
photos fabian da costa - textes et présentation anne da costa




 Nous avons ramené des parfums de gingembre, de cannelle, de girofle. Nous avons parcouru les rues des vieux quartiers depuis toujours dédiés au commerce des épices.



Nous nous sommes laissés glisser le long des canaux qui sillonnent le Kérala, sous les cocotiers qui donnent généreusement leurs feuilles, leurs fruits et leur fibre, pour la vie quotidienne des hommes.


 

Nous avons vu des arbres divinisés et des divinités cachés dans les arbres.



Venez, si vous le souhaitez, marcher, respirer, rêver, sur les chemins de l'Inde, avec nous.




 

mercredi 21 mai 2014

Invitation

Un pèlerin Sikh sur les routes et les chemins - photo fabian da costa



"Il existe une vitalité, une force de vie, une énergie, une stimulation qui se traduit en vous par une action, et parce que qu'il n'existe qu'une seule personne comme vous dans tous les temps, cette expression est unique.
Si vous la bloquez, elle n'existera jamais dans aucun autre milieu et elle sera perdue."

Martha Graham



lundi 19 mai 2014

Un pèlerinage...fin...pour le moment...


Baba Om Giri et son disciple - photo fabian da costa


Non, je ne suis pas morte, heureusement, parce que franchement je ne me sentais pas prête pour la grande rencontre. Mais mon état est toujours aussi préoccupant. Fabian pourrait continuer jusqu'au bout avec notre guide en me laissant au camp, mais je dois absolument redescendre rapidement et il ne veut pas me laisser seule avec un des porteurs pour le retour.

Donc, la troupe fait ses bagages et nous repartons pour quatre heures de descente qui seront encore quatre heures de souffrances. J'ai trop attendu et il me faudra plusieurs jours pour récupérer du souffle et des jambes.

Nous ne verrons pas Gaumuk et la bouche grande ouverte dans la montagne qui laisse échapper entre les moraines grises une eau blanche et bondissante. Une eau glacée dans laquelle les sâdhus osent se baigner presque nus. Et encore moins Tapovan, plus difficile d'accès car il faut escalader parfois dangereusement la moraine glissante.

Certains vont plus loin, plus haut, vers toujours davantage de solitude et de majesté. Les montagnes ne sont plus seulement des montagnes, mais les incarnations vivantes des dieux, l'espace est chargé des énergies spirituelles de tous ceux qui ont franchi les épreuves parfois très dures, de ce parcours.

Nous avons fait étape avant le retour vers la vallée, dans une petite bourgade réputée pour ses sources d'eau chaude. J'y ai baigné mes courbatures et mes douleurs, j'y ai aussi rafraîchi mon âme.

Tout près du temple, dans une petite cellule, vivent un sâdhu et son disciple. J'ai mis un jour au moins, avant d'oser m'approcher d'eux et de m'asseoir sur l'étroite banquette, devant le feu sacré toujours entretenu par le disciple. Celui-là surtout m'impressionnait : d'apparence, redoutable shivaïte, il était en fait doux comme un agneau. Tout au long du jour hommes, femmes et enfants, entraient dans la cellule, saluaient le maître, et recevaient de son compagnon une marque de cendres sur le front, une poignée de douceurs, et pour les plus démunis quelques roupies données juste avant  par d'autres pèlerins.

Lors de notre dernière visite, avant le départ, j'ai confié à Baba Om Giri, ma tristesse et ma déception devant l'échec de notre pèlerinage raté à cause de moi. Il m'a regardé longuement tout en tirant sur son chilom : " Dieu est partout, et pas seulement à Gaumuk, ni à Tapovan. Ce n'est pas grave, Dieu est dans ton cœur, toujours."

Venant d'un homme qui dès son adolescence s'est consacré à la recherche de Dieu, qui a passé des années là-haut sur les Himalayas, retiré dans une grotte d'où il ne descendait que rarement pour chercher quelques provisions, des heures de marche plus loin, ces paroles m'ont consolé, rassuré.

Alors, si la force et la valeur d'un pèlerinage ne se mesurent pas au nombre de kilomètres accomplis et si comme on le dit, le chemin et le but sont une même chose, toute cette aventure n'a pas été inutile. Alors marcher ainsi, c'est marcher vers son coeur, marcher vers le divin. Il n'y a d'autres conquêtes ici que celle de l'amour, y compris pour ce pauvre soi si faible et désarmé.




dimanche 18 mai 2014

un pèlerinage IV

Le Gange près de sa source, les Himalayas dans les nuages
photo fabian da costa


Le sol et les berges scintillent d'innombrables étincelles de mica arrachées aux roches par les flots. Les pics enneigés là-haut sont comme des torches de pierres vives qui se dressent devant une barrière blanche encore plus haute.

Je ne vais pas mieux, mais de pire en pire. J'alterne les invocations  aux saints de tous les cieux, des crises de colères contre moi, contre Fabian qui marche plus loin devant, pour faire son travail de photographe. La veille j'ai acheté un mala, un chapelet  de perles vertes dans une des nombreuses échoppes d'objets de piété, je l'ai mis autour de mon cou  avant le départ, comme une protection. Et bien il ne me sert à rien et je suis furieuse et malheureuse.      

Où sont passées mes belles résolutions d'acceptation de ce qui est, mes promesses d'accueillir avec gratitude ce que la vie me présente, mon désir de m'unir par la prière à tous ceux qui m'ont précédé ? Je ne suis plus qu'un corps souffrant qui ne peut plus avancer et un cœur révolté.

Malgré tout Rani presse le pas, il nous faut arriver avant 18 heures au camp - les porteurs y sont déjà - il faut surtout se méfier de la brume et de la pluie qui en cette saison, chaque soir, enveloppent la montagne et rendent les pierres rondes et luisantes encore plus dangereuses.

Il me donne la main aux passages les plus ardus, me pousse ou me tire, me donne à boire des jus de fruits qu'il tire de son sac qui semble inépuisable, m'offre des nourritures que je refuse car je ne peux rien avaler.

A quelques centaines de mètres en contrebas on aperçoit les pins de Chirbasa, le camp enfin. Mais je suis tellement épuisée que je ne peux m'empêcher de continuer à pleurer, et ce n'est pas de joie. Le camp comme un havre enfin atteint, le camp pour se reposer, se coucher. Notre agent de voyage d'Uttarkashi nous avait promis un lieu confortable, de l'eau chaude, des toilettes…de quoi reprendre des forces pour la journée suivante.

Le camp, c'est une minuscule tente igloo bleue qui n'en était pas à sa première excursion, de très léger matelas de sol posés à terre comme leur nom le laissait à penser, une bouilloire d'eau chaude et des " toilettes…" dont je ne parlerai pas. Mais quelle importance, en bonne forme nous nous en serions facilement contenté, épuisés, nous l'avons apprécié.

Nous nous couchons tout habillés, juste retirer les chaussures, et encore parce qu'il le faut bien. La nuit sera longue et glaciale bien entendu, nous sommes à plus de 4.000 mètres. Pour moi, rien ne va mieux et j'ai peur de m'endormir et de ne pas me réveiller. Je sais que c'est arrivé ici même, à des gens plus jeunes et plus aguerris que moi. Il était déjà impossible de redescendre tout à l'heure avant la nuit, il en est hors de question maintenant dans le noir absolu et c'est pourtant le seul remède au mal des montagnes.

Vers deux heures du matin je me traîne hors de la tente, la nuit est magique. Le ciel semble si proche au-dessus de moi, que je pourrais toucher du doigt les milliers d'étoiles incroyablement brillantes qui le constelle. Je ne sais comment, les sommets couverts de neige qui nous entoure me paraissent rayonner d'une lumière intérieure. Finalement mourir ici, pourquoi pas ?

Pèlerinage III...

Le sentier vers la première étape - photo fabian da costa




       J'ai fait bien pire certes, et je ne comprends pas pourquoi les premiers escaliers de pierre qui conduisent à l'entrée du sentier, me coupent déjà les jambes, mon guide me rassure, c'est normal au début d'avoir un peu de peine avec l'altitude.

Rani est ce que l'Inde peut produire de meilleur dans l'espèce humaine. Il va se révéler un guide parfait, attentionné, précis, et pour moi il va être mon père et ma mère dans ce qui va devenir au fil des heures un vrai calvaire.

Pour l'instant c'est juste difficile d'avancer au rythme de l'équipe, mais je suis, nous sommes si heureux. Nous l'avons voulu, souhaité, ce pèlerinage. Nous avons rêvé de mettre nos pas dans ceux des milliers de pèlerins qui l'ont parcouru avant nous. 

Nous traversons quelques bois clairsemés, le soleil est éclatant, le ciel d'une incroyable pureté, la rivière roule vivement à nos pieds, nous la suivrons de plus en plus haut, et elle sera de plus en plus présente par son bruit incessant. Nous ne sommes pas seuls, quelques sâdhous pieds nus, au mieux chaussés de tongs, des jeunes gens qui filent comme l'éclair, des presque courageux qui marchent à côté des mulets qui portent leurs bagages, des encore plus courageux, montés sur les mulets qui ont le sabot sûr, mais quand même, certains passages sont si vertigineusement  étroits 

Cette fois je ne me fais plus d'illusion, malgré mes prises frénétiques des médicaments conseillés j'ai le mal des montagnes. Rani porte mon sac en plus du sien, je trébuche et je titube tous les dix pas. Mes pieds pèsent des tonnes, mes bras sont écrasés dans un étau, mon crâne est trop petit pour ma cervelle qui me semble prête à exploser, j'ai de violentes nausées.
 
       On s'arrête souvent pour que je récupère, il n'est pas question de revenir en arrière, tout ce chemin, tous ces projets ne peuvent se terminer ainsi. Petit à petit, certainement, je vais m'habituer, je vais aller mieux

samedi 17 mai 2014

Un pèlerinage...II

Arrivée à Gangotri - 5 kms de bouchon - tout le monde descend, sauf les personnes impotentes ou paresseuses, qui terminent le chemin en palanquin
photos fabian da costa


 Il est hors de question d'entrer en voiture dans la ville. L'affluence est telle que nous trouvons un embouteillage de véhicules enchevêtrés entre colonne montante et descendante. C'est à pied, en nous faufilant entre les carrosseries chauffées à blanc, au milieu d'une foule chargée de paquets divers que nous parvenons jusqu'à notre hôtel.


Gangotri est une grosse bourgade installée sur les deux rives de la Bhagirathi qui s'appellera le Gange quelques kilomètres plus bas. La rue principale et quasiment unique, est occupée comme dans toutes les villes de pèlerinage par les longues files de mendiants, de sâdhus, de petites marchandes, assis sur le sol devant les boutiques de vêtements chauds, de souliers de marche, d'objets de piété, de nourritures diverses. 

Il commence à faire froid, nous sommes fatigués par les heures de route mais notre guide nous entraîne à sa suite au bas de la ville, vers les chutes d'eau bouillonnantes qui ont au fil des siècles formé de vastes puits creusés dans la roche. Je suis étonnée d'avoir tant de peine à remonter les escaliers de bois qui ne sont pourtant pas bien terribles : mais une nuit de repos et demain tout ira mieux.



La nuit est courte, mauvaise à cause d'un mal de tête tenace, mais l'excitation du départ fait tout oublier. Notre équipe est au grand complet devant l'hôtel qui se trouve juste au démarrage du sentier. Les porteurs sont déjà chargés comme des mules, nous partons pour 5 jours : un jour jusqu'à la première étape de 9 kilomètres où nous  camperons à Chirbasa, le lendemain, 5 kilomètres jusqu'à Bhojbasa, " le lieu des bouleaux ", une nuit sous tente avant de remonter jusqu'à Gaumuk, la " Tête de la vache ", la naissance du Gange, et retour à Gangotri. Quatorze kilomètres réputés assez faciles, avec une dénivellation des plus confortable. Nous avons fait bien pire dans notre Vercors.

vendredi 16 mai 2014

Un pèlerinage...

La carte du pèlerinage aux quatre sources du Gange- photo fabian da costa

Parmi les plus grands et les plus exigeants pèlerinages de l'Inde, se trouve celui des Sources du Gange, le Char Dham Yatra, le pèlerinage aux quatre sources du Gange, qui dès la fonte des neiges rassemble des millions de dévots.
Ces quatre sources se trouvent dans les Himalayas indiens,  à des altitudes qui varient entre 3.100 et 4.000 m d'altitude

Nous connaissions le Gange à Bénarès, celui dont les longues courbes bordent les rives de la ville sainte, celui qui depuis des siècles voit les millions de pèlerins, prier, se baigner, se purifier. Nous connaissions aussi le Gange vif et joyeux qui roule de rapides en cascades jusqu'à Rishikesh, la ville des saints et des sages.

Mais nous rêvions tous les deux de monter jusqu'à l'une de ses sources, celle de Gaumuk en l'occurrence, pour voir jaillir de la montagne le Gange, jeune et bondissant - un vrai rêve que nous avons longuement préparé - équipement, entraînement, choix d'une agence de voyage pour nous faire accompagner d'un guide expérimenté.

Uttarkashi à 1.350 mètres d'altitude, est le point de départ de notre expédition, là où nous devons rencontrer nos compagnons d'aventure. C'est une petite ville à l'échelle de l'Inde, installée sur les deux rives de la Bhagirathi et dont les principales ressources proviennent de l'afflux des pèlerins qui font étape, avant l'assaut vers les vraies hauteurs. Nous découvrons une véritable équipe : le guide, deux porteurs, un cuisinier et le chauffeur qui va nous emmener jusqu'à Gangotri.

Au petit matin notre jeep se mêle sur la route aux bus bondés, aux 4 X 4 pour pèlerins aisés, aux voitures de tous âges et de toutes provenances, et se lance à l'assaut des virages qui vont se succéder presque sans interruption jusqu'à Gangotri, croisant à fracas de trompes et de klaxons les convois qui en reviennent.

Sereins et placides, les sâdhus, solitaires ou bien par deux, avancent tranquillement le long de cette horde bruyante sans en paraître inquiets. La route suit l'ancien chemin de pèlerinage, celui d'avant le goudron et le fumée des pots d'échappement, quand les bêtes sauvages rôdaient dans les forêts et que de rustiques abris accueillaient les courageux marcheurs de Dieu.


 Si peu de bagages pour un si long chemin - photo fabian da costa

Eurydice...

                                   photo fabian da costa   Eurydice, Eurydice, je pense à toi ce soir. Il fait froid, il fait noir, et je t’...