dimanche 30 mars 2014

le retour

Fort Kochi - Inde- mars 2014 - photo fabian da costa



Fort Kochi, 6 heures du soir au bord de la mer d'Oman. Tous les personnages de la pièce qui se joue chaque fin de journée sont réunis.

Pièce classique, unité de temps, de lieu, d'action. Les acteurs sont toujours les mêmes : les pêcheurs, les touristes, les corbeaux, des chats et des chiens, parfois au large quelques dauphins. 
Chacun connait son rôle, sa place, son texte. 

Les pêcheurs rentrent du large dans leurs longues barques blanches et déversent sur le quai des caisses de calamars, des paniers de longs poissons brillants comme des épées. 

Les touristes font leur métier de touristes avec application et regardent la scène à travers les viseurs et les écrans qui leur servent à voir la vie.

Les chats attendent qu'un peu de menu fretin leur tombe sous la dent et se retirent au plus vite pour le dévorer.

Les chiens regardent les chats manger et se consolent en pensant qu'ils n'aiment pas les arêtes.

Les corbeaux sont partout en troupes batailleuses et bruyantes.

La mission des touristes ne commencent vraiment qu'au coucher du soleil, quand rouge, glorieux et flamboyant, il s'approche lentement de la mer.
L'oeuvre est ardue, périlleuse, la tension est à son comble. Il s'agit de capturer l'instant, à la minute près, où le soleil couchant semblera par un effet d'optique, s'être laissé prendre tel un énorme poisson, dans les grands filets chinois qui bordent le quai.

Et pour cela, le touriste consciencieux est prêt à tous les sacrifices. Juchés par dizaines sur les pontons branlants, sur les rochers glissants, ils braquent leurs objectifs, le doigt crispé, le souffle suspendu.

Suspendu comme le soleil qui descend chaque soir inexorablement dans la mer, fuyant les humains qui se retirent la mine réjouie ou dépitée, selon la réussite ou l'échec de leur entreprise.

Et chaque soir voit se renouveler le même jeu, et chaque soir le soleil ne se couche pas dans la mer sous les yeux de ses fidèles. Il ne se couche pas, puisque nous le savons bien, c'est nous, sur notre petite planète, qui tournons autour de lui.

Nous et la mer, et sur la mer les petits et les grands bateaux, et sous la mer, les dauphins joueurs et les grands poissons d'argent et bien plus profond encore, les calamars aux longs bras blancs, aux yeux nocturnes.

La terre a tourné, elle s'incline pour que dorment ceux qui veillaient et que  les autres s'éveillent là-bas, de l'autre côté.

La nuit descend comme elle  sait le faire ici, avec douceur et lenteur. Les pêcheurs regagnent leurs foyers, les corbeaux se perchent dans les arbres sans cesser un seul instant de se quereller.
Les chiens s'endorment en rêvant que dans une prochaine vie ils seront des chats mangeant du poisson. Les chats ne rêvent pas d'être autre chose qu'eux-mêmes, si parfaits.Les touristes réfléchissent à la plus grave question de la journée : où faut-il aller dîner ce soir ? 

Et sur le port déserté, de gros camions emportent au loin des centaines de calamars aux grands yeux noirs, fixes et brillants, des yeux faits pour voir les mondes sous-marins d'où les hommes les ont arraché.



Eurydice...

                                   photo fabian da costa   Eurydice, Eurydice, je pense à toi ce soir. Il fait froid, il fait noir, et je t’...