désert de Thar - Rajasthan - photo fabian da costa
Voilé, dévoilé
De
l' Inde je ne connaissais vraiment que le Kerala, ses verts intenses, les
lagunes et les canaux qui la parcourent comme autant de routes langoureuses et
secrètes. Je connaissais les femmes keralaises, et certaines intimement, leurs saris
qui en faisaient autant de fleurs épanouies au bord des routes poussiéreuses,
au milieu des voitures, des rikshaw, des motos crachant leur nuage de pollution
et les beuglements de leurs klaxons aussi nécessaires à la conduite que
l'accélérateur ou le volant.
Je
connaissais surtout le sourire éclatant de gentillesse qui répondait au mien,
la douceur et la profondeur des regards qui offraient sans crainte le chemin
qui mène à la source du coeur.
Aujourd'hui
je découvre le Rajasthan et je m'approche d'un féminin tout autre, un paysage
inconnu.
Les
femmes ici, sont à la fois petites comme de toutes jeunes filles et
majestueuses comme des reines. Elles vont, scintillantes de bijoux, et sur le
long voile qui les enveloppe je me suis interrogée. Femme occidentale, bien
entendu farouchement attachée à la liberté et à l'égalité que nous avons mis si
longtemps à acquérir, qu'y avait-il à comprendre pour moi, de ces femmes
voilées, dissimulant entièrement ou à demi leurs visages.
A
mes tentatives de sourire j'obtenais peu de réponse, comme un éclair parfois
d'une bouche qui acceptait de se desceller, mais les yeux fuyaient mon regard
ou bien restaient aussi infranchissables qu'une muraille défensive.
Ce
n'est qu'au bout de plusieurs jours de déception et de frustration, que j'ai eu
la chance de rencontrer chez elles, ces femmes jusque là inaprochables. C'est
ainsi que j'ai pu apprendre, par gestes, rires et sourires, le secret du voile.
Ces redoutables magiciennes en usent avec un art consommé qui se transmet de mères
en filles. Entièrement sur le visage, il protège du vent, de la poussière, des
regards indiscrets. A moitié ouvert, parfois retenu entre les dents, il ne
laisse apparaître qu'un oeil noir de khol, et fait encore plus désirer le
visage tout entier. Et si la Rajapoute est lassée de son interlocuteur, elle
ramène son voile et se retire à volonté derrière ce léger, mais inviolable
rempart.
Nous
avons pour nous-même dépassé bien des limites imposées autrefois par
l'éducation et la tradition. Nous nous réjouissons avec raison d'une liberté de
parole et d'expression auxquelles nous ne pourrions renoncer. Nombre
d'entre-nous ont abandonné sur les divans et les fauteuils de nos psys, les
fardeaux qui nous encombraient. Nous n'hésitons pas à confier à des lointains
plus ou moins proches, l'intimité de notre vie amoureuse ou intérieure.
Du
silence emmuré de nos parents et grands-parents, nous voici passées à la parole
libérée de toute entrave, parfois de toute pudeur.
Alors,
sans chercher à devenir ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne serons
jamais, pourquoi ne pas réfléchir, ne fut-ce qu'un instant, à ce que peuvent
nous révéler ces voiles mouvants qui tremblent sur le visage de ces femmes.
Peut-être
pourrions-nous apprendre d'eux qu'il n'est pas toujours utile de révéler au
grand jour ce qui demande de l'ombre et de la discrétion. Que le mystère de
l'autre, autant que de soi-même, a besoin de protection, de solitude et de
silence.
Le
numineux, le sacré, et je me permets de croire que le féminin en est particulièrement
riche, demandent à être voilés, pour donner accès à l'ultime grotte du coeur.
Je
vous écris ces lignes dans la douceur du crépuscule indien. Des aigrettes
blanches viennent de se poser sur les branches des arbres qui bordent le
jardin. Il paraît que la nuit dernière une panthère se promenait dans les
bosquets. Vraiment, l'Inde est le pays de nos rêves d'enfants.