Sainte-Sophie - Istanbul - Constantinople
photo fabian da costa
" Le 29 mai 1453, l’armée du sultan Mehmed II n’aura
pas grande peine à submerger dans le sang Byzance affaiblie, abandonnée par un
Occident qui se réjouit secrètement ou ouvertement, de voir enfin jetée bas le
reste fumant d’un empire qui se voulait le successeur de Rome, la terre du
Christ.
Au soir de sa victoire, le vainqueur avait regardé
du haut de la coupole de Sainte-Sophie, la fumée des incendies qui montaient de
la ville. Dans ce qui restait du grand palais sacré des empereurs, il avait
murmuré, méditant sur l’inconstance des armes et les vanités du monde, les deux
vers d’un poète persan :
‘’L’araignée
a filé sa toile dans le palais impérial. La chouette a entonné son chant
nocturne sur les tours d’Afrasiab.’’
On retrouvera le corps ensanglanté du dernier empereur au
milieu d’un amoncellement de cadavres.
Seules, ses bottines cramoisies brodées d'aigles impériales permettront de le
reconnaître. Pour des noces ultimes, le sang d’un basileus se mêle à la
pourpre. Jamais plus aucun homme ne montera sur le trône de Byzance, chaussé de
rouge, couronné d’or, de perles et de diamants. Personne ne se dira plus avec
autant d’orgueil que de foi, représentant de Dieu sur la terre, serviteur du
Christ, seul vrai maître de l’Empire et du cosmos.
Byzance s’effondre, Byzance est morte. Les femmes descendantes
des anciens empereurs accoucheront en exil de leurs premiers-nés, tenant dans
leur main un fragment de porphyre, dérisoire et splendide souvenir d’un pouvoir
disparu.
Les
mythes sont parfois plus forts que l’histoire. Ils ont pour eux l’inaliénable
liberté qui donne aux rêves puissance sur la vérité. En Grèce de nos jours
encore, les enfants chantent la légende du roi pétrifié.
L’histoire commence lorsque le dernier empereur byzantin apprend
que les Turcs viennent de pénétrer dans la ville, par la porte du
Pommier-Rouge. Il selle son cheval, et court se jeter dans la bataille. A
l'instant où il va succomber sous les coups des ennemis qui s’acharnent sur lui
par dizaines, un ange survient et l’emporte avec son cheval dans une grotte
secrète.
Là, changé en statue de marbre il attend, l’épée levée
au-dessus de sa tête, le jour de la grande délivrance. Alors il se précipitera
à nouveau dans les rues de Constantinople et libèrera sa terre et son peuple.
Alors, à nouveau reviendront les bannières et les oriflammes sur les murs de la
ville, les processions triomphales sous les portes d’or, et les chants des
liturgies solennelles retentiront dans Sainte-Sophie, plus belle que jamais. "
"Anne Comnène, princesse de Byzance ". Work in
progress – Anne da Costa
Qu’elles reposent en paix au-delà des
chimères humaines, les cendres de ceux et de celles qui firent l’histoire
splendide et sanglante de Byzance. Et que peuvent bien nous dire ces légendes
qui paraissent ne pouvoir toucher que les cœurs simples, les âmes innocentes de
l'enfance ?
J'aime à croire qu'elles nous parlent de
l'espoir indéfectible au milieu des pires catastrophes. De la certitude qu'un
jour, même lointain, viendra la lumière au milieu des ténèbres. Peut-être
pourrions-nous nous chanter à nous-mêmes la naïve chanson des petits grecs,
pour nous faire espérer, attendre ce jour-là. Peut-être aussi sommes-nous
chacun, ce roi, cet empereur, muré dans au plus sombre d'une grotte, et que
c'est à nous qu'il appartient de le délivrer.