Alhambra - Espagne automne 2019
«
Veilleur où en est la nuit ? « demande l’âme angoissée au prophète
Isaïe - celui qui veille encore debout sur les remparts d’un monde assiégé par
les ombres de la mort.
La nuit du
cœur, celle-là qui vient sans prévenir, aussi brusquement tombée que là-bas,
sous les tropiques, où elle efface en un instant la clarté du jour.
Et le
veilleur de répondre : « Vient le matin et puis la nuit. Si vous le
voulez, interrogez, convertissez-vous, revenez. »
Et ainsi
de la vie – du blanc et du noir, de la joie, du désespoir. Veilleur, où en
suis-je de ma nuit, celle du coeur brisé ? Il y en aura bien d’autres
encore, des plus claires et des plus sombres, et des aubes également. Le
prophète ne ment pas, ne rassure pas à peu de frais : oui, l’aube viendra,
annonciatrice du jour, mais la nuit suivra avant que le matin ne la chasse à
nouveau.
J’ai cessé
de croire à ce temps découpé en tranches : celle du passé, celle du futur,
et coincée entre les deux, le présent qui disparaît à chaque seconde sans que
je puisse le retenir. Non, c’est moi qui me déplace des unes aux autres, et
selon que je choisis de me poser sur l’une ou l’autre, ma vie n’est plus la
même.
Ou bien
encore, et c’est ce que je préfère, ce temps est une spirale infinie où se
rejouent les mêmes séquences que je peux voir à chaque passage d’un peu plus haut,
d’un peu plus loin. Paysage qui se révèle quand le marcheur s’élève et découvre,
récompense de l’effort, ce grand livre ouvert qu’il ne pouvait ni lire ni
comprendre, de trop près, de trop bas.
Ce qui
était désordre s’organise, ce qui l’interrogeait prend sens. C’était donc cela ce
labyrinthe épuisant, ces impasses trompeuses, cette route interminable ?
Cette
carte mentale qui s’ouvre, se dévoile, se développe, se déchiffre mieux,
s’explique en partie du moins. Car il ne faut pas rêver - livre, carte, plan,
rien de tout cela ne sera définitivement connu. Et c’est sans doute le plus difficile,
en tous cas pour moi - de savoir que rien ne sera jamais fini, abouti, terminé.
Que pas plus que ne s’arrêtera la danse des atomes, notre danse à nous ne se
terminera, et encore ce n’est pas certain, que lorsque nous verrons l’autre
côté de la toile.