fabian da costa © photographe
L'art de l'entre-deux est un art délicat. Pour certains néanmoins, il peut relever du don naturel et spontané. J'ai la faiblesse de penser que je suis de ceux-là : j'argumente.
Quand dès la naissance on ne peut s'appeler Désirée, quand les premiers mois de la vie se passent à illustrer grandeur nature l'expression " je lui ai refilé le bébé ", la capacité de se faufiler dans l'entre-deux s'épanouie comme champignon après la pluie.
On découvre tout d'abord l'entre-deux mers d'être entre deux mères – celle d'avant qu'on ne connaîtra plus, et celle d'après. On s'y fait vite, on apprend ce qu'il faut dire et ce qu'il faut taire, ce qu'il faut montrer et ce qu'il faut cacher. C'est ainsi que l'on commence à pratiquer l'art subtil de l'entre-deux, ce lieu magique où se tenir à l'abri.
Mais parce qu'il faut bien grandir malgré tout, se frotter au monde et à ses habitants, il devient nécessaire d'agrandir son entre-deux, de l'aménager, de le meubler. On se fait un entre-deux de rêves secrets, qu'on augmente ensuite de l'entre-deux des amis, puis des amours imaginaires. On peut y ajouter celui des songes éveillés, et s'il reste de la place on y invitera encore tout ce qui peut entourer, protéger, isoler. De là il est possible presque sans danger, de regarder la vie.
Ce n'est pas courageux de trop rester dans cet entre-deux ? Certes – et pourtant j'en connais de merveilleux. Celui du sac et du ressac sur une plage d'enfance, où l'instant le plus important est dans l'infime suspension qui les partage. Celui encore qui s'installe entre mon inspir et mon expir, des milliers de fois recommencé sans que je m'en rende compte. Mais l'entre-deux le plus beau est sans conteste celui qui vient par merveille, quand cessent enfin les pensées, et qu'advient le profond et trop bref silence entre leurs flots incessants.