photo fabian da costa
Enfant, j'eus le grand bonheur, le
privilège même, d'avoir une nounou comme dans l'ancien temps, tout entière
dévouée à ma petite personne.
Elle était déjà âgée, ou
me paraissait telle, et venait de sa campagne occitane avec des souliers de
curé, et en toutes saisons un vieux manteau trop long. Elle sentait le savon de
Marseille et l'eau de Javel dont elle usait largement pour me protéger des
microbes.
Elle ne m'embrassait
jamais, car elle avait commencé sa longue carrière dans des maisons où les
domestiques n'embrassent pas les enfants des maîtres, par souci d'hygiène
disait-on.
Elle m'aimait sans
conditions, cédait à tous mes caprices, et chaque jour passé avec elle était un
jour de bonheur.
Puisque
son temps m'appartenait, du moins je le croyais, je lui demandais de me
raconter des histoires, beaucoup d'histoires nées comme elle en Occitanie, mais
aussi des contes de partout et de toujours.
Chaque
conte, chaque histoire, se terminait par une petite ritournelle, toujours la
même, toujours aussi mystérieuse, et qui me ravissait. Les amoureux enfin
réunis, la grenouille redevenue princesse, ma nounou me regardait par-dessus
ses lunettes en disant : " et cric
et crac, moun count es acabat "
De
ces années passées depuis trop longtemps j'ai oublié beaucoup de choses, mais
pas cette petite phrase, toujours présente, toujours secrète, jusqu'au jour où
je la retrouvais à mon grand étonnement, dans les souvenirs d'enfance de
François Mauriac.
Bordelais, de terroir
occitan, il eut comme moi accès au monde
des contes à travers une nourrice qui utilisait pour terminer ses récits, les
mêmes mots que la mienne. Et le mystère enfin s'éclaircit - cela voulait tout
simplement dire : " et cric et
crac, mon conte est fini."
Car c'est une chose
courante, et dans presque tous les pays, que de voir les contes commencer et se
terminer ainsi, par une ritournelle souvent rimée, clef magique qui tourne dans
la serrure de l'imaginaire pour ouvrir la porte des rêves avant de la refermer
jusqu'à la prochaine visite.
Ma nounou me quitta
beaucoup trop tôt pour le pays d'où l'on ne revient pas. Elle y trouva
certainement le repos que sa patience, sa douceur et son humilité méritaient,
et me laissa avec un inconsolable chagrin, solitaire au milieu d'adultes trop
occupés pour me raconter des histoires. Comme je savais déjà lire, ils
m'offrirent des livres, et bien sûr des livres de contes.
Pareille à beaucoup
d'entre-nous, je me souviens de ces premiers volumes, de leurs images, de leur
odeur, de leurs couleurs. Je pouvais quand je le désirais, retrouver le petit
Chaperon rouge, Riquet à la Houppe, le chat Botté et tous les autres
personnages que je connaissais bien. Mais voilà, j'étais seule, sans la
présence, la voix si rassurante de ma nounou, qui faisait entre eux et moi un
écran protecteur. Le loup qui mangeait la fillette me regardait d'un œil
inquiétant, Barbe-Bleue venait de me surprendre dans la chambre interdite, et
la sorcière de la Belle-au-bois-dormant se cachait certainement sous mon lit
pour m'endormir à jamais.
C'est ainsi que
longtemps, les contes furent pour moi objets de crainte autant que de plaisir.
Peut-être pourrait-on tirer de cela une petite sentence, presque semblable à
celles qui finissent les contes moraux qu'affectionnaient les siècles derniers
: " Parents, ne laissez pas vos petits enfants seuls avec les contes de
fées. "
" Contes d'hier pour aujourd'hui. " Anne da Costa. Ed. de Vecchi 2005
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