samedi 24 mars 2012

Contes de fées

photo fabian da costa


       Enfant, j'eus le grand bonheur, le privilège même, d'avoir une nounou comme dans l'ancien temps, tout entière dévouée à ma petite personne.
Elle était déjà âgée, ou me paraissait telle, et venait de sa campagne occitane avec des souliers de curé, et en toutes saisons un vieux manteau trop long. Elle sentait le savon de Marseille et l'eau de Javel dont elle usait largement pour me protéger des microbes.
Elle ne m'embrassait jamais, car elle avait commencé sa longue carrière dans des maisons où les domestiques n'embrassent pas les enfants des maîtres, par souci d'hygiène disait-on.
Elle m'aimait sans conditions, cédait à tous mes caprices, et chaque jour passé avec elle était un jour de bonheur.
            Puisque son temps m'appartenait, du moins je le croyais, je lui demandais de me raconter des histoires, beaucoup d'histoires nées comme elle en Occitanie, mais aussi des contes de partout et de toujours.
            Chaque conte, chaque histoire, se terminait par une petite ritournelle, toujours la même, toujours aussi mystérieuse, et qui me ravissait. Les amoureux enfin réunis, la grenouille redevenue princesse, ma nounou me regardait par-dessus ses lunettes en disant : "  et cric et crac, moun count es acabat "
            De ces années passées depuis trop longtemps j'ai oublié beaucoup de choses, mais pas cette petite phrase, toujours présente, toujours secrète, jusqu'au jour où je la retrouvais à mon grand étonnement, dans les souvenirs d'enfance de François Mauriac.
Bordelais, de terroir occitan, il  eut comme moi accès au monde des contes à travers une nourrice qui utilisait pour terminer ses récits, les mêmes mots que la mienne. Et le mystère enfin s'éclaircit - cela voulait tout simplement dire :  " et cric et crac, mon conte est fini."
Car c'est une chose courante, et dans presque tous les pays, que de voir les contes commencer et se terminer ainsi, par une ritournelle souvent rimée, clef magique qui tourne dans la serrure de l'imaginaire pour ouvrir la porte des rêves avant de la refermer jusqu'à la prochaine visite.

Ma nounou me quitta beaucoup trop tôt pour le pays d'où l'on ne revient pas. Elle y trouva certainement le repos que sa patience, sa douceur et son humilité méritaient, et me laissa avec un inconsolable chagrin, solitaire au milieu d'adultes trop occupés pour me raconter des histoires. Comme je savais déjà lire, ils m'offrirent des livres, et bien sûr des livres de contes.
Pareille à beaucoup d'entre-nous, je me souviens de ces premiers volumes, de leurs images, de leur odeur, de leurs couleurs. Je pouvais quand je le désirais, retrouver le petit Chaperon rouge, Riquet à la Houppe, le chat Botté et tous les autres personnages que je connaissais bien. Mais voilà, j'étais seule, sans la présence, la voix si rassurante de ma nounou, qui faisait entre eux et moi un écran protecteur. Le loup qui mangeait la fillette me regardait d'un œil inquiétant, Barbe-Bleue venait de me surprendre dans la chambre interdite, et la sorcière de la Belle-au-bois-dormant se cachait certainement sous mon lit pour m'endormir à jamais.
C'est ainsi que longtemps, les contes furent pour moi objets de crainte autant que de plaisir. Peut-être pourrait-on tirer de cela une petite sentence, presque semblable à celles qui finissent les contes moraux qu'affectionnaient les siècles derniers : " Parents, ne laissez pas vos petits enfants seuls avec les contes de fées. "
" Contes d'hier pour aujourd'hui. " Anne da Costa. Ed. de Vecchi 2005

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