mardi 13 mars 2012

l'Arbre - Poète

photo fabian da costa


Je suis poète, je suis arbre, un vivant
parmi les vivants, un poète arbre né au
hasard des semences charriées par le vent.
J'ai respiré l'odeur de terre – l'ai trouvée
douce – douce.
J'ai goûté à la terre et j'ai aimé son goût
amer, son goût d'humus et d'océan.
j'ai hasardé mes racines dans le noir de
la terre, dans le chaud maternel, incomparablement,
dans son mystère de mort et de résurrection.

Au fil du temps perdu et des mortes saisons,
des orages du cœur et des lentes colères,
je suis devenu arbrisseau, témoin fragile
des pluies d'octobre, de la désespérance,
du silence des neiges – des brasiers de midi.

Je suis devenu arbre, arbre vivant,
arbre-poète,
qui tend ses bras aux nuageries,
au ciel bas, au ciel gris,
parfois si haut, si violent
ce ciel de mes labeurs et de mes joies secrètes.

Je suis arbre-poète qui sourit à ses
fleurs de grâce et de liberté,
ces fleurs d'abeilles et d'abandon
et qui lâche ses fruits,
bruits de mort – bruits de vie
dans l'herbe haute de l'automne.

Avec mes mots de tous les jours
avec mes fruits bons ou mauvais,
jeux de l'ange ou du malin,
je demeure arbre-poète
qui voit passer tout près de lui, les morts vivants
sans un regard.

Je suis poète, arbre-poète parmi tous ceux
des compagnons que je côtoie,
les arbrisseaux,
les tout-venants,
les arbres de nostalgie,
…et puis les chênes
tous les grands chênes,
les arbres rois de la forêt qui ne meurent pas.

Jean Vigna, poète.

mardi 6 mars 2012

La Trame des Jours


photo fabian da costa

                   Parce qu'on y remue les casseroles, que là s'effectuent les tâches humbles et répétitives, c'est sûrement la pièce la moins honorée de la maison. Et pourtant voici le lieu où se rassemblent comme par magie, l'homme, le chien, les enfants qui rodent autour du four. Le premier lieu où ils déboulent au retour de l'école, pour poser toujours la même question -"Qu'est-ce-qu'on mange à midi ? en soulevant les couvercles pour en jauger le contenu d'un oeil soupçonneux.

                  Sans doute est-ce-là que naissent les premiers souvenirs parfumés. Les années qui passent ensuite, vague après vague, n'effacent rien. J'ai toujours aussi présente dans la mémoire, pour ne pas dire dans la bouche, l'odeur de la tartine rôtie au feu, frottée d'ail et recouverte de graisse d'oie - le poulet jaune comme du beurre, roulé dans le thym - les fines saucisses à la poële, qui vont si bien avec les huître claires - la côte de boeuf grillée sur les braises de sarments de vigne, que l'on mangeait brûlante et crue à la fois, assaisonnée de sel et d'échalotes.

samedi 3 mars 2012

La Trame des Jours

photo fabian da costa


                  Dire la tendresse, sans mot, sans geste - dans le silence d'un soir semblable à tous les soirs. Pas même la glorieuse fin d'une journée d'été - non - un soir gris souris, où le brouillard laiteux laisse tomber une pluie invisible, mais qui mouille jusqu'à la moëlle, et les choses et les gens.

                  L'enfant lit sur le canapé, et le chien ventre en l'air au fond du meilleur fauteuil, rêve, en agitant faiblement les pattes. La radio laisse couler des blues rapeux.

                  C'est là que le coeur s'élargit pour les enserrer tous: l'enfant et le chien, et la nuit légère qui vient  sur ses jambes de soie. Le dernier rire du geai avant le prochain matin, sonne dans le vallon. On attend celui qui rentre, et plus la nuit s'étend, et plus l'attente est longue.

                  La tendresse comme un sommeil léger, où l'on dort à deux, sans se toucher. La tendresse, comme les paupières closes de l'enfant qui protège encore sa nuit du matin.

                  Elle vient là où on ne l'attend pas. Elle marche simplement ; elle ressemble à tout le monde et à n'importe qui. Elle était dans cet énorme supermarché, la veille des vacances, au milieu des chariots, de la bousculade.Elle était dans cet enfant, déjà grand, qui galopait à côté de sa mère, entre les maillots de bain et les glacières. Elle lui est venu dans le coeur, comme une belle vague déferlante, comme une fleur brusquement éclose ; il a pris la main de cette mère qui filait hagarde, comme chaque fois qu'elle fait ses courses dans les petits enfers des grands magasins, et il l'a passionnément embrassée. Petite folie d'amour, de quoi être heureux, longtemps.

jeudi 1 mars 2012

la Trame des Jours

photo fabian da costa




Rien qu'une jonquille que la nuit a brisée. Rien qu'une jonquille sur le bord de la fenêtre. Le printemps vient d'entrer.




lundi 20 février 2012

Vous avez dit bonheur ?



photo fabian da costa

          Non, le bonheur n'est pas la simple absence de malheur. Ce n'est pas un vide, mais un plein.
         Bien sur, nous voudrions nos mains débordantes de grands bonheurs claquants, de joies exceptionnelles. Il y en a rarement, et quelquefois jamais. Pourtant les jours les plus gris sont toujours traversés par d'innocentes, de très humbles lumières.

          De grandes voix disent la sagesse, pour un monde que chacun veut croire nouveau, et de fortes paroles dénoncent la misère, l'injustice, la guerre. Je n'ai pas cette voix là. Moi, je peux simplement raconter l'ordinaire histoire de cette goutte d'eau magnifiée par le soleil, qui perlait au bord d'une feuille, dans le pauvre jardin d'une maison sans grâce, et qui m'a retenue au bord du désespoir. C'est de cette goutte d'eau que je peux parler - d'elle et de ses semblables que nous croisons chaque jour sans les voir.

         Egoïste, pas forcément. La vie est là, et ce n'est pas marcher en aveugle que d'avancer vers la lumière. Je sais, nous savons tous, à moins de nous vouloir étranger à ce monde, l'horreur et la violence, le désespoir. Que reste-t'il à ceux qui ne peuvent agir ? La dérision pour survivre, l'abrutissement organisé pour oublier.  Ce sont en général les mêmes mains qui distribuent également, l'horreur, et la dérision, et l'abrutissement.

                   Les sages ont déjà dit que bien cultiver son jardin, celui qu'on voit, et l'autre, l'invisible, peut-être le plus important, apporte, pour soi et pour le monde, autant de paix que les plus grandes conquêtes.

                  Seuls, ceux qui n'ont jamais travaillé un carré de terre peuvent croire que c'est chose facile. Le moindre jardinier sait ce que représente de peine et de sueur quelques arpents à cultiver. Après tout, pourquoi n'aurait-on pas le droit d'essayer de prendre soin d'un peu de sa terre - d'en découvrir la beauté et d'en retirer une certaine paix, si ce n'est le bonheur.



dimanche 29 janvier 2012

Jardin d'hiver

photographie fabian da costa


Ce n'est pas la morne attente du printemps.
C'est un monde qui se lit autrement, une vie qui s'offre différemment.

C'est le flamboiement pourpre du pic-épeiche sur les branches de l'arbre dénudé, la délicate tête bleue de la mésange sur le rebord de la fenêtre,
C'est la primevère pâle et obstinée qui se dresse au-dessus de la boue gelée.
C'est le rouge-gorge rond comme un petit pâté qui déguste à courtes becquées les feuilles de la sauge givrée, et les minces hiéroglyphes écrits par les pattes légères des oiseaux dans la poudreuse fraîche.

La nuit d'hiver au jardin des hommes, c'est la neige qui étincelle, bleue sous la dure agate de la lune, c'est le puissant murmure de la forêt voisine - et de l'autre côté du vallon, le couple de hulottes qui échange les secrets du monde endormi.


lundi 9 janvier 2012

La flamme est l'avenir de la lampe




 photo fabian da Costa


Jean de la Croix je te demande
De dire au clair ce qu'est la flamme
Elle est l'avenir de la lampe
Si je te crois
Il dit à nouveau que la lampe
Est l'âme et la flamme l'amour
Une autre fois je lui demande
D'où vient l'amour et qu'est la flamme?
  
Aragon

Eurydice...

                                   photo fabian da costa   Eurydice, Eurydice, je pense à toi ce soir. Il fait froid, il fait noir, et je t’...