labradorite - photo fabian da costa
Je parle des pierres plus âgées que la vie et qui demeurent après elle sur les planètes refroidies, quand elles eurent la fortune d’y éclore. Je parle des pierres qui n’ont même pas à attendre la mort et qui n’ont rien à faire que laisser glisser sur leur surface le sable, l’averse ou le ressac, la tempête, le temps.
L’homme leur envie la durée, la dureté, l’intransigeance et l’éclat, d’être lisses et impénétrables, et entières même brisées. Elles sont le feu et l’eau dans la même transparence immortelle, visitée parfois de l’iris et parfois d’une buée. Elles lui apportent, qui tiennent dans sa paume, la pureté, le froid et la distance des astres, plusieurs sérénités.
Comme qui, parlant des fleurs, laisserait de côté aussi bien la botanique que l’art des jardins et celui des bouquets – et il lui resterait encore beaucoup à dire -, ainsi, à mon tour, négligeant la minéralogie, écartant les arts qui des pierres font usage, je parle des pierres nues, fascination et gloire, où se dissimule et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d’une espèce passagère.
Janvier 1966
Roger Caillois « Pierres « NRF Poésie / Gallimard
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