samedi 22 janvier 2011

La Trame des Jours 2

photo © fabian da costa


         Dans les bras de ce vallon, deux maisons à un jet de pierre l'une de l'autre. Deux maisons vides, volets clos, refermés sur les souvenirs des derniers habitants. Il n'y a pas tant d'années que cela, Emile vivait dans la première, Léopold et Aimé dans l'autre - trois vieux garçons.
         Il n'est rien de plus facile que de rester ainsi à la campagne. Depuis bien longtemps, les filles ne veulent plus marier un paysan.
         Elles sont toutes là, à rêver de la ville ou du bourg - des magasins - des rues propres et larges - de l'eau sur l'évier et des lumières qui font chaud au coeur. Elles veulent un homme qui ne sente pas l'écurie ou le feu de bois, et qui ramène une vraie paye à la maison.

         Un jour de grosse pluie, alors qu'il descendait voisiner à la ferme la plus proche, un sac à pommes de terre retourné en bonnette sur le crâne, Léopold avait bien tenté de proposer mariage à sa voisine. Cette rosière montée en graine allait aussi en visite, car la pluie est une bonne excuse pour le plaisir du bavardage. Elle l'avait toisé ; du haut de la pointe de son sac à patates jusqu'aux bouts de ses galoches sales, avant de lui dire lentement : " Tu vois Léopold, il pourra pleuvoir, neiger ou faire soleil, ce n'est pas demain que j'irai m'accrocher sur ta roche. "

         Et Léopold avait vieilli avec ses compagnons. Seuls tous les trois dans leurs maisons de pierres vives accrochées au rocher qui partout affleure sur cette terre de pauvres. Seuls, mais pas forcément très malheureux - seuls, mais en si parfaite union avec cette vie-là, que leur solitude devenait habitude et non plus déchirure.

         Ils sont morts, tous les trois. Doucement, ils se sont éteints comme les feux auprès desquels ils veillaient.

         Je suis entrée dans la maison d'Emile. Le vieux poêle bas sur pattes est au milieu de la cuisine - sur le plancher noirci, les pieds d'Aimé ont patiné le bois. A cette place-là, assis devant son feu, il regardait passer le fil du temps qui s'attardait ici plus longuement qu'en bas, à la ville.
         Dans la maison de Léopold, le vieux balai de buis veille seul contre la porte. Ce balai qu'aucune main de femme n'a voulu prendre.
         La vie n'est pas enfuie, seulement endormie. Il faudrait si peu, pour qu'à nouveau il y ait des voix qui résonnent dans la combe : un pas sur le chemin, des mains amicales qui ouvrent les volets...

         Ouvrir les volets d'une maison longtemps fermée, c'est éveiller l'âme des choses - c'est remettre en route la muette horloge du temps.

 

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